À
2h00 du mat le grondement des amplis stoppa et s'éteignît. La
chaleur des 25 000 watts de projo laissa la place à la douce
fraîcheur de la nuit qui nous poussa alors à enfiler un sweet pour le
démontage et le rangement du plateau scène.
La
musique des bouteilles roulant sous le passage du balaie des serveurs
se hâtant de nettoyer la place s'accompagnait de celle des rires des
derniers individus encore attablés à la terrasse du café, juste éclairée
par un vieux lampadaire.
Nos
tâches bien définies, commençait alors dans cette ambiance étrange mais
analogue à chaque fin de concert. C'est comme si la nuit nous appartenait
enfin lorsque les musiciens se retirent. L'excitation en moins bien
sûr. Celle qui nous picotait le bout des doigts à 9h00 du matin
juste avant de commencer le déchargement de la camionnette.
Notre
musique à nous c'est celle des fly roulant sur les planches, les harmonies
des clics des connectiques, les clacs des fermetures des caissons, le
fizz des ventilos des amplis et le pouff des membranes des HP que l'on
vient de mettre sous tension.
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La place est à nous. Il faut dérouler, brancher, tester, monter, clipser,
visser, descendre … Midi, la chaleur est pesante. Sous le soleil au
zénith , les projos sont bouillants et la structure chromée du pont
d'éclairage nous éblouie à chaque fois qu'on lève les yeux. C'est le
moment d'une pause bien méritée, mais le plus dur reste à faire. Nous
rencontrons à peine les musiciens qui arrivent pour le repas. Certains
détendus et d'autres un peu plus anxieux. Cependant les repas se passent
toujours dans la même bonne humeur. Tout le monde semble être heureux
de se retrouver. Les plaisanteries fusent et les dernières recommandations
sont diffusées par " le mot du Président ". C'est appréciable,
car c'est le meilleur moyen de respecter le timing. Les balances sont
fixées à 16h00 il nous reste donc deux heures pour terminer les
branchements et tester le son afin d'être opérationnel à 100% à l'arrivée
des musiciens.
Premier
son et premier souci l'un des micros de la batterie ne fonctionne pas.
Il faut se presser car le temps passe. Basse, guitare, clavier, cuivres,
voix, façade, retours…on se tape des km d'aller-retour entre la console
et la scène. On nous interpelle 100 fois : " s'il
te plaît, j'pourrais avoir plus de retour d'ensemble ? ", "
oh j'entends rien quand je parle dans mon micro ! ", "
où je branche mon câble ? ", " bon c'est
quand vous voulez pour mes réglages ! ", "
dis-moi, t'aurais pas un jack qui fonctionne, le mien est mort ? ",
" le son est vraiment pourri, j'en ai vraiment
marre ! ", " Oh, t'occupe pas de ce que
disent les musiciens, on verra leurs problèmes après ; pour l'instant
n'oublies pas que les touches sur lesquelles j'ai noté " bank " permettent
de sélectionner soit la série des voix d'entrée de 1 à 12, soit celle
de 13 à 24. Les tranches de 1 à 12 sont mobilisées pour le groupe électroacoustique
et ce sont les deux touches " bank " qui affectent les deux couches
de faders, les autres donnent accès aux retours d'effet, aux groupes,
au contrôle Midi. Comme tu vois ça se présente comme une config. classique.
C'est bon t'as compris ? "
C'est
un travail exténuant où la pression ne laisse que peu de place aux caprices
de stars. Mais nous sommes là pour ça ; donner de notre énergie pour
atteindre et offrir le meilleur confort de jeux aux musiciens.
20h00
: tout semble être entré dans l'ordre et les esprits se calment. C'est
l'heure d'aller manger. Notre dernière pause avant le feu. À table c'est
quasiment la même ambiance qu'à midi, à quelques détails près. Certains
rangent leur partitions, d'autres peaufines les structures des morceaux,
quant à l'un d'entre eux, il ne trouve pas mieux que de s'enduire de
vinaigrette ! Entre techno on parle des dernières nouveautés matos que
Mobiltech vient de sortir. Les musiciens ont l'adrénaline qui monte
et en ce qui nous concerne c'est le meilleur moment, nous allons enfin
pouvoir exercer notre vrai plaisir : faire le son du concert. Nous n'avons
pas la pression, nous savons faire et nous maîtrisons le sujet sur le
bout des doigts.
22h00
les rampes de par 64 sont à zéro, les leds de la table et des amplis
frémissent…je crois qu'on va pouvoir y aller. Je cale le répertoire
avec ma canette de 1664, j'enlève le mute de chaque voix et surveille
les faits et geste du leader sur scène. Un signe de la tête et tout
démarre……………………. Quatre heures après le rush les vu-mètres sortent enfin
du rouge et les 25 000 watts d'éclairage se calment pour laisser la
place aux lampes électriques. C'est l'heure du rangement. Quelques musiciens
donnent la main pour descendre le pont et les enceintes. En définitive,
pas de gros problèmes à déplorer ce soir, si ce n'est une machine à
fumée qui n'a pas voulu fonctionner. Les musiciens ont l'air ravis.
C'est vrai c'était un concert sympas.
Déjà
3h00 du mat et nous avons à peine commencé à plier. C'est comme
une partition que l'on connaît par cœur. Les mêmes gestes et les mêmes
réflexes, la même façon de rouler les câbles, la même cadence de débranchement
des quelques 300 m de fils qui se promènent. Je suis crevé, mes jambes
ne me portent plus. Il ne reste plus que nous sur la place désertée.
4h00
du mat nous venons de terminer le chargement du premier utilitaire,
mais je prends une sacrée douche froide lorsque je me retourne et m'aperçois
que les plus grosses pièces (pieds de pont, caissons NEXO, etc.…) sont
encore sur place. J'aimerais bien être à la place de celui-là, couché
sur une des housses à même le sol et qui ronque depuis une heure entre
le multi-paire et les malles de câbles.
À
5h00 je ne sent plus mes bras mais nous avons enfin terminé.
Je pousse finalement la porte arrière de la camionnette et décoche un
dernier regard sur la place vide pour m'assurer que la fatigue ne nous
a rien fait oublier. On a mérité un bon lit et une bonne nuit de repos
car demain c'est la route qui nous attend.
À
Eric,
Clément, Bernard et Bruno.
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